RADIOS PIRATES : HISTOIRES DES RADIOS MUSICALES LIBRES
by Cha Toublanc
Espaces d’expérimentation artistique et de mise en valeur d’artistes aux marges, les web radios de musiques électroniques s’inscrivent dans une culture de liberté d’expression qui remonte aux mythiques radios pirates. Like Fire rembobine pour vous l’histoire des radios libres musicales.
Visuel de la saison 1 de More Womxn In USB Key diffusé sur StationStation. Dessin de Camille Giunti du Club Kidz Studio.
Loin des radios commerciales de la bande FM, on trouve sur les web radios de musique électronique une programmation défricheuse et inclusive, qui valorise la prise de risque artistique tout en mettant en avant des artistes émergent·es et aux identités diverses.
L’une d’entre elles, Radio Sofa est née en 2020, en contexte de fermeture des lieux culturels durant la pandémie, pour participer à la continuité de la diffusion des musiques actuelles et électroniques. D’autres comme RinseFM, implantée à Paris depuis 2014 et devenue un point de passage important pour les DJ, usent des mêmes codes vidéos de nombreuses autres célèbres webradios de grandes villes du monde (Kiosk à Bruxelles, The Lot à New York, SRC à Séoul). D’autres, enfin, sont les prolongations des lieux physiques où se produisent des artistes. A l'instar de StationStation, webradio de La Station gare des Mines, immense dancefloors des portes de Paris dédié à “l’effervescence des marges musicales, artistiques et culturelles de l’époque.”
Alors qu’en 2022/2023, les DJ et productrices femmes ne représentaient que 29,8 % des programmations des festivals et clubs, et les personnes non-binaires 2,5%) selon un rapport du réseau female:pressure, ces webradios s’engagent à promouvoir les artistes FLINTA (femmes, lesbiennes, intersexes, non binaires, trans et agenres). Chaque mois, en live puis en podcast, sur la StationStation diffuse des mixtapes des productions musicales réalisées par des artistes femmes ou autres minorités de genre dans son programme More Womxn In USB Key, initié par Fatale Furylax, également résidente de la Radio Sofa. Disponible aussi sur Youtube, RinseFM héberge parmi ses artistes en résidence, des collectifs comme Zone Rouge, un projet artistique créé en 2019 pour rendre visibles les femmes, la communauté LGBTQIA+ et les personnes minorisées au sein des musiques électroniques. Composé de 7 DJs résidentes -Aasana, Akira, Lizzie, Matilda, Soa, Super Salmon et Tina Tornade, les sets naviguent entre Ambiant, Breakbeat, Downtempo, Bass Music, Techno, House trancy et expérimental.
Ces radios hébergent des mixtapes de DJ mais aussi des créations radiophoniques expérimentales et des discussions politiques. En cela, elles s’inscrivent dans une culture de liberté d’expression qui remonte aux mythiques radios pirates. Préparez-vous, Like Fire s’apprête à vous embarquer dans l’histoire aux mille anecdotes des radios libres.
Spoiler Alert : si personnellement quand j’entend le terme “radio libre”, je pense aux soirées passées, écouteurs dans les oreilles, à glousser aux blagues de Romano et Difool sur Skyrock, en même temps que mon frère à l’étage inférieur du lit superposé, “Radio libre” désigne en réalité les médias qui ont lutté dans l’illégalité pour la fin du monopole de l’Etat sur les radios (et donc pour que j’ai le droit à une représentation de la sexualité féminine avec Marie).
Radios pirates
Comme les pirates, les premières radios libres sont hors-la-loi. Elles émettent sans autorisation administrative et officient au cœur des océans, loin des forces de l’ordre. Si elles n’ont pas d’autres choix que de s’exposer aux vents salins, c’est qu’aux débuts de la radio, les gouvernements imposent des règles restrictives sur l'utilisation des ondes et ne distribuent qu’un nombre restreint d'autorisations de diffusions.
Pour raconter l’histoire des radios libres, il faut rembobiner loin dans le temps : jusqu’au début du siècle passé. Puis prendre un bateau, s’éloigner des côtes jusqu’aux eaux internationales et grimper à l’abordage d’un navire surmonté d’une grande antenne : le SS Monica. Durant deux mois en 1933, la radio commerciale RKXR connaît un succès important avant d’être confisqué par les gardes-côtes américains. La station diffuse des « disques de gramophone, concerts d'un orchestre, performances d'artistes solistes et prédictions d'horoscope par l'astrologue Zandra », ainsi que des spots publicitaires depuis un bateau à vapeur aménagé en “navire de jeu”. RKXR propose également des “croisières nocturnes vers nulle part” au départ de Santa Monica et durant lesquelles on peut assister aux enregistrements live. Pour contourner les lois anti-jeu et anti-alcool en vigueur dans de nombreux Etats, les bars-casino flottants de ce type prolifèrent alors au large des Etats-Unis.



En 1958, quelques mois avant la création de la première radio “off-shore” (au large) européenne, les pays des Nations Unies signent la convention de Genève sur la “mer territoriale et la zone contiguë”. Ils s’engagent à ne pas exercer leur autorité au-delà de trois milles nautiques. Grâce à cette limite relativement courte, les radios pirates vont pouvoir se tenir à porter de leurs auditeur·ices potentiel·les et assurer facilement le transport de fournitures et de personnel de la terre aux navires (ou autres structures).
Premier jour de diffusion de Radio Caroline. Photo tirée de « Happy Birthday Radio Caroline, 20 Years Old, Easter 1984 », publiée par Monitor Magazine.
Les premières radios libres connaissent un essor important en Europe du Nord durant les années 60 et deviennent les relais d’une culture jeune et underground qui s’affirme avec le mouvement hippie et l’essor du rock’n’roll. Ces radios pirates sont souvent associatives et à la fois subversives et commerciales. La première radio “offshore” britannique, Radio Caroline, émet à partir de 1964 depuis le Federica, un vieux ferry danois équipé d'émetteurs radio situé dans la mer du Nord. Alors que la BBC, seule radio autorisée en Grande-Bretagne, s'en tient à des concerts de ses orchestres, ces pirates diffusent du rock et de la pop (cliquez ici pour entendre un extrait du 30 mars 1964 où un morceau des Beatles est annoncé).
Pirates à terre
En France, il faut attendre les années 70 pour que ces radios illégales, sans loi d’audimat et au ton subversif fleurissent sur nos bandes FM. Durant l’occupation de la Sorbonne de Mai 68, des libertaires, prolo intello et universitaires gauchistes découvrent l’existence d’une installation radio pour l’émission de conférences relayée par la tour Eiffel. Iels s’en emparent pour diffuser des slogans. Très vite, la prise pirate de Radio Sorbonne est interrompue par le Ministère de l’Intérieur. Dès l’année suivante, Radio Campus est créée à l’université scientifique de Villeneuve-d’Asq, à côté de Lille. Au moyen d’un émetteur confectionné par un étudiant dans sa chambre, elle diffuse chaque jour 4 heures de musique, puis des débats. Le mouvement des radios libres qui militent pour casser, dans et par l’illégalité, le monopole de la radio publique est né. Pour l’instant, il se diffuse encore de manière confidentielle.
Le 20 mars 1977, un happening en pleine émission politique sur Antenne 2 (chaîne la plus regardée à l'époque) fait connaître les radios pirates par le grand public : Brice Lalonde, porte-parole des listes Paris écologie lors des élections municipales de Paris, brandit devant les caméras et les journalistes, un petit poste de radio qui diffuse la première émission de Radio Verte. En réalité, il s’agit d’un enregistrement diffusé via un magnétophone et un petit émetteur par un complice présent sur le plateau de télévision. Le véritable émetteur de Radio Verte, capable de couvrir la région parisienne, ne diffusera la première émission (enregistrée en douce dans les studios de France Culture) que quelques mois plus tard. Mais le simulacre prend. L’effet est important sur la presse. Elle relaie l’anecdote et le phénomène des radios libres se répand comme une traînée de poudre.
En 1979, Radio Ivre, “la Radio-Pirate des Parisiens » et le lointain ancêtre de Radio Nova, naît dans une chambre de bonne de Colombes. Durant ses premiers jours, son émetteur, importé d’Italie, ne diffuse QUE du reggae. Mais la radio se dote bientôt d’autres programmes. Et la radio migre de Colombe à Courbevoie puis au 16e arrondissement de Paris, aux Loges du Palace, au Théâtre Noir de Belleville, à Montparnasse, aux Buttes-Chaumont, avant de finir dans un studio de la Place du Tertre (en haut de la butte de Montmartre)… Vous l’avez compris : pour mieux diffuser, il faut émettre de haut. Et pour fuir les brouilleurs de la police, Radio Ivre doit souvent changer de lieux de diffusion. “La règle d’or d’une radio libre, c’est le déménagement presque quotidien”, explique Gérard Bar-David, ancien animateur d’une émission rock sur Radio Ivre. Qu’il produit avec “deux platines tourne-disques, deux mags à cassettes pour les extraits d’interviews et les jingles, le tout branché sur mon ampli de salon”. Lorsque l'émission est repérée par la police, les pirates radiophoniques changent de fréquence en une demi-heure en grimpant de nouveau sur les toits avec leurs pinces coupantes et tournevis.
HIT MACHINE ONLY
Alors que Valery Giscard d’Estaing durcit les sanctions encourues pour piratage radiophonique, les radios libres sont un enjeu majeur des élections présidentielles de 1981. L’année du lancement de Radio Ivre, François Mitterrand participe à l'émission de Radio Riposte, radio pirate créé et diffusé depuis le Parti socialiste en utilisant l'émetteur d’une autre radio pirate : Radio Onz'Débrouille. Cela lui vaut, ainsi qu’à Laurent Fabius, une inculpation.
François Mitterrand est élu le 10 mai 1981 et à minuit, une cinquantaine de radios plantent leur drapeau sur une bande FM désormais dépourvue de brouillage. Parmi elles ? Radio Cité future, “la radio qui change la radio”, créé en collaboration avec le journal Le Monde par Pierre Beranger, futur père de Skyrock (radio sur laquelle moi ado découvrira le principe 80s de l’Antenne libre avec Difool). Très éphémère en raison du brouillage des autorités qui n’est finalement pas interrompu, elle mélange dans sa programmation musicale new wave, nouveau rock français, et musique classique.
Titre de Café Mozart, groupe de punk/new wave des années 80, découvert grâce à cette archive du JT d’Antenne 2 où l’on voit Radio Verte le diffusé.
En 1982, le monopole d'État est aboli et un statut est créé pour les radio libres. Toutes n’y ont pas le droit : les radios les plus libertaires comme la toute récente Carbone 14, Radio Vodka (dont on peut entendre la saisie en direct ici) et Radio libertaire sont interdites et dissoutes. Quant à Radio Ivre, elle obtient une fréquence commune avec le projet de radio Nova, devient Nova Ivre puis se fond dans Nova, rejointe par des membres de Radio Verte.
Peu à peu, les radios libres des années 1970 sont peu à peu rachetées par des réseaux de Nostalgie, Skyrock, Europe 2, RFM et Fun Radio. Avec Radio NRJ (Nouvelle Radio Jeune) lancée en 1981 par un fils d’industriel, et Radio 7, ancêtre du Mouv’ chez Radio France, les musiques qu’écoutent les jeunes s’entendent enfin sur des stations de radio diffusées depuis la France. Mais la logique du marché prime désormais : il faut des tubes pour attirer les audiences, et ainsi les annonceurs publicitaires.
ONDES EN OPEN SOURCE
À l’heure du streaming, les web radios permettent de découvrir de la musique hors des sentiers battus des algorithmes. Elles sont des terrains d’expérimentations sonores où les valeurs DIY des radios libres vivent encore.
Radio Pipistrelle
Sur Pl4tform, on ressuscite l’esprit libertaire et créatif des radios libres et on l’adapte à Internet. Fondée sur un désir d'émancipation technique autour de l'open source et des logiciels libres de droits, la webradio se voit comme un serveur-abri qui héberge des concerts live (dont certains ayant lieu au Café Pompier, bar associatif de Bordeaux), des dj-sets ainsi que des émissions de discussions, de lectures de textes ou encore revues de presse. Certains de ses programmes, comme celui produit par Radio Pipistrelle, sont de véritables spectacles immersifs sonores. Dans le volume 2, nous sommes entrainé·es par des voix ultra vocodées à explorer une grotte de Gironde où l’on entendra successivement des textes, des morceaux de musiques, une hot-line qui reçoit un message pour prévenir de l’expulsion d’un squat et donc du report d’un concert, une interview d’une guérisseuse rurale et des concerts joués en live.
Il est aujourd’hui facile de lancer une radio sur Internet. Il est par exemple possible d’héberger des émissions sur des plateformes comme Mixcloud ou Soundcloud et de les ajouter sous la simple forme de simples plug-in (modules d'extensions) sur une page internet suffisent. C’est ainsi que fonctionne 3615 Radio, une webradio basée à Barbès dans le 18ème arrondissement de Paris qui diffuse des artistes locaux des cultures alternatives. Mais aussi LYL radio, basée à Lyon, Paris, Marseille et Bruxelles, où l’on trouve une large palette de genres musicaux. Exemples au hasard (celui de mes goûts du jour) : ce mix de deconstructed club et dubsetp, et celui-ci de jazz, postpunk et pop expérimentale
“La radio vit une nouvelle révolution comparable à celle des radios libres au début des années 80”, s'emballait Antoine Dabrowski, directeur de Tsugi Radio, en 2021. Sous son impulsion, 25 web radios venaient alors de se réunir pour lancer l’Union des Webradios Françaises (UWF). Car ces médias souvent associatifs sont des structures aux équilibres fragiles. Il y a un an, faute de financements publics et usée par le modèle économique du bénévolat, Radio DY10, membre de l’UWF, a dû cesser de produire de nouvelles émissions. Depuis 2016, la web radio promouvait la scène nantaise dans toute sa diversité : de la gabber à l’ambient, du jazz au rock. Toutes ses précieuses archives patientent aujourd’hui de pouvoir être rejoints par d’autres. Mais ce n’est pas pour demain : le budget alloué à la culture par la région des Pays de la Loire a été réduit de deux tiers pour l’année 2025.
La page d'accueil à l’esthétique vintage de 3615radio.
Visuel de l’émission “Post-clubbing depression” diffusé sur LYL radio.