DANCEHALL 2.0 : SHATTA, BOUYON ET REGGAETTON À LA CONQUÊTE DES CLUBS
by @chatoublanc
Les soirées labellisées reggaeton et shatta se multiplient et de nombreuxses artistes DJ mixent avec allégresse ces genres descendants du dance hall en boite techno ou house. Quels sont ces styles musicaux et comment ont-ils débarqué sur les dancefloors ?
La scène électronique française était mise à l’honneur lors de la cérémonie de clôture des Paralympiques, le 8 septembre 2024. Aux côtés des barons de la French touch, Etienne de Crécy, Busy P ou encore Cassius, des faiseurs de hits Polo&Pan, Martin Solveig, Kavinsky ou encore de la très matraqueuse Anetha, mixait un jeune DJ originaire de l’île Maurice : GЯEG. Connu pour son amour pour le mélange entre les sonorités afro-caribéennes et house, jungle et techno, sa présence sur le même line-up que les plus grands noms de la scène française est un adoubement pour tout un nouveau courant de la musique électronique. Dans un stade de France transformé en mini-festival, le résident du collectif de soirées parisiennes La Créole a pu passer un de ses sons les plus iconiques : Dembow tronico. Véritable banger à 145 bpm composé avec le roi des tubes lyonnais King Doudou.
Dembow électronique
Derrière ce titre se cache le nom donné au rythme musical originaire de la Jamaïque qui fait l’identité du reggaeton. Le dembow, cette rythmique en 3-3-2, se retrouve dans la quasi-totalité des sons de reggaeton actuels. Depuis quelques années, les artistes mélangeant ses sonorités héritées du dance hall, une variante plus électronique, festive et rapide du reggae, se multiplient. Au nom du « global dancefloor » et grâce aux communautés venues des Antilles, des pays anciennement colonisés par la France et hispanophone, le reggaeton, le shatta et son cousin sur-rapide le bouyon se font une belle place sur les pistes de danse des boîtes électroniques et rap. Le reggaeton est né à Puerto Rico de la fusion du reggae, du dance-hall jamaïcain et du hip-hop tandis que le shatta, ses lignes de basses profondes et ses percussions sèches et minimalistes ont vu le jour en Martinique. Quant au bouyon, qui peut monter jusqu’à 170 bpm (soit autant que de la drum&bass ou la hard techno) et reprend des sonorités de musiques traditionnelles locales, il vient de l’île voisine de Dominique.
Si GЯEG représentait si bien ce nouveau courant musical au Stade de France, c’est qu’il est en est un acteur majeur. Le 10 octobre 2024, sur son île Maurice natale, GЯEG participait au lancement d’un nouveau type de Boiler room dédié à la culture mondiale Soundsystem.
Et, surtout, depuis 2018, le collectif La Créole dont il fait partie contribue grandement à la percée des sonorité afro-caribéennes sur les dancefloors électroniques. Dès les débuts des soirées du collectif, il s’agit se « réapproprier des musiques populaires parfois méconnues, en dehors de certaines diasporas, et de les lier avec des univers de clubbing undergrounds issus des mondes afros, latinos, caribéens et occidentaux », expliquaient Vincent Frédéric Colombo, Fanny Viguier, Geoffrey Cochard et Steven Jacques, les quatre membres fondateurs, au magazine Antidote en 2018. Les DJ invités mettent la fusion sonore à l’honneur et mélangent habillement dance hall, bass music, coupé-décalé, bouyon, UK funky, techno, singeli et autres styles afrodescendants. Sur scène, s'enchaînent les passages de danseureuses de voguing.
La fête comme au spectacle
Très rapidement, ces soirées connaissent un succès fou et migrent du Chinois à Montreuil, alors encore en travaux, à l’un des dancefloor les plus grands de Paris : la Machine du Moulin Rouge et ses 1 200 places.
« Aujourd’hui, les gens s’en foutent des DJ, iels vont en soirée pour une thématique. Le public veut une esthétique, des danseurs, du spectacle », analyse Franssouax, DJ également passé par La Créole, résident de la radio Rinse et fondateur du collectif Menace progressive qui met en valeur des musiques underground, hardcore et expérimentales des clubs du monde entier. « Après la pandémie, le public de club bouillonnait d’envie de s’amuser et de crier ensemble sur des chansons. Et il ne trouvait pas satisfaction dans les lieux diffusant de la musique techno aux sonorités très linéaires. »
Sur la même scène de la Machine du Moulin Rouge naît en avril 2022 une autre soirée mettant à l’honneur un autre rejeton du dance hall : le reggaeton. Tout comme la Créole, Perreo Supremo place la danse au cœur de la nuit. Les premiers événements commencent par des workshops animés par la chorégraphe, danseuse et co-fondatrice chilienne Carla Naté. Elle y enseigne les bases d’une des danses du reggaeton, le perreo. Les participant.es font ensuite la fête pour appliquer les pas appris sur les plus grands hits du moment de reggaeton « blendés » (mélangés, les DJ aiment parler anglais) aux codes de la techno.
Derrière les platines et à la programmation des DJ ? L’autre co-fondatrice de Perreo Supremo : la basco-bretonne Anaïs Condado (alias Anaco derrière les platines). Résidente de la radio de musique électronique Rinse depuis 2018 où elle propose des mixes mélangeant « de la techno et de la bass music avec des genre plus percussifs ». En 2020, Anaco ajoute à sa tambouille le reggaeton, inspirée par une nouvelle génération de reggaetoneras et reggatoneros, comme Rosalia, Bad Bunny ou King Doudou, qui blend la musique de son adolescence avec d’autres styles. La DJ plonge alors comme beaucoup d’autres en plein dans la latin core. Une expression inventée par le Colombien, Francisco Corredor, alias CRRDR, pour décrire la musique qu’il commence à produire à partir de 2019 et qui mélange salsa et dembow a des genres électroniques plus radicaux comme la nightcore, qui consiste à accélérer le tempo d'un morceau musical déjà existant, le gabber ou la hard tec.
Dance floor mondialisé
Aujourd’hui, les deux comparses de Perreo Supremo se sont séparées pour mener chacune leurs projets respectifs. Carla Naté continue de proposer des cours de perreo et Anaco fait partie d’un nouveau projet collectif, nommé D.i.v.i.n.o qui a pour but de diffuser non plus seulement du reggaeton, mais de la musique sur laquelle on peut « perrear » du monde entier. « On y mélange salsa et bouyon sur des BPM qui vont jusqu’à 160 et les danseurs et danseuses du collectif viennent de styles différents. »
« Pour moi, Soundclound a eu une grosse influence sur beaucoup de DJ qui ont pu découvrir des sons du monde entier et qui aujourd’hui ne veulent plus se limiter à un seul genre », explique Franssouax, qui mêle baile funk brésilienne, shatta antillais, jersey anglaise, ballroom étasunienne et reggaeton avec des sons hardcore et transe. Le fondateur du collectif Menace Progressive est tombé dans le global dance-floor dès 2015 en écoutant les mixtapes Pirata du collectif mexicain N.A.A.F.I qui mélangeaient reggaeton, merengue (danse dominicaine) et remix electro de hits de pop enregistrés illégalement lors de concerts.
Pour d’autres artistes de la scène « global dancefloor », comme Mariad, originaire de l’île de la Réunion, mélanger le dancehall qu’iels écoutaient en boîte durant l’adolescence aux musiques électroniques qu’on entend en Métropole était une évidence. « La première fois que j’ai été booké, c’était par Paprika Records [label parisien de global dancefloor]. J’ai passé ce que je connaissais : de la gommance (dérivé réunionnais du raggamuffin aux paroles irrévérencieuses), du shatta, des chansons créoles et de l’afrotrap. »
En région parisienne, l’artiste découvre ensuite d’autres sonorités électroniques et ajoute ambiant, drum&bass, break et jungle à ses sets. « J’ai été très inspirée par des artistes de chez moi qui mélangent drum&bass et maloya (musique traditionnelle réunionnaise) ou du dancehall et du shatta à de la breakcore. Ces pratiques de blends existent depuis très longtemps, mais on ne les connaît pas ici à cause de l’éloignement géographique », explique celle qui est encore très souvent annoncée comme une artiste dancehall en métropole.
Mariad estime que l’arrivée des bébés électroniques du dance hall dans les clubs estampillés techno ou house est une bonne chose pour l’avenir des clubs en France et en Europe : « Il faut qu’il n’y ai plus de hiérarchie entre les genres de musique électronique, entre ce qui serait la grande musique et les sous-genres que les classes populaires écoutent sur les parkings. »
L’arrivé du reggaeton, bouyon ou shatta remet l’église au centre du village : ces musiques sont des sons électroniques de club depuis le début. Ils ont leur place en club électronique. « Jouer ces musiques dans ces lieux permet d’ouvrir les portes à des gens qui ne seraient pas venus. Cela leur permet de se dire « On est chez nous ici. On a le droit de venir dans ces lieux, d’y organiser des soirées. »