EMO IS NOT DEAD : DES LARMES ET DU SON
by @chatoublanc
Quand on entend Emo, on pense tout de suite Jena Lee, larmes sous la pluie et grosse mèche devant l’œil. Le genre Emo est né en réaction à l’atmosphère masculiniste des espaces punks, mais n’a pas toujours été très reluisant de féminisme pour autant. Histoire du plus lacrymal des enfants du punk.
Ma génération a grandit avec le mouvement emo. Avec le clip de Jena Lee et ses larmes sous la pluie (J’aimerai tellement énorme hit de 2009) et les yeux charbonneux de Avril Lavigne, Green Day et Paramore. Durant cette semaine où j’ai réfléchi sur cet article que vous commencez à lire, de nombreuxses proches m’ont dit “moi de ma phase emo j’en suis jamais sorti”. La musique non plus ne semble ne pas en être sortie de sa “phase emo” : La « gloom pop » (ou « pop dépressive ») de Billie Elish domine les charts depuis 2017 et de nombreux artistes émergent-es, comme ELOI ou Luther, s’en réclament encore. Alors qu’est ce que ce genre qui n’en est pas vraiment un ?
Avant toute chose : Un son est surtout emo car il véhicule une certaine émotion intense dans ses paroles.
Aux débuts punks du mouvement, lors des concerts emo, ça pleurait dans la salle et c’était révolutionnaire. Nous sommes alors à la fin des 80, en plein âge d’or punk hardcore. Pour les rockeurs de cette scène alternative, aux textes généralement politiques et attentifs aux problèmes d'intolérances, exprimer ses émotions, ses larmes, ses “fragilités” c’était rompre avec ce qu’on attend d’eux, en tant qu’hommes mais aussi en tant que pogoteurs vêtus de gros cuir. En 1985, Rites of spring sort son premier, et seul, album. La batterie est ultra rapide et les guitares électriques distordues et super métalliques mais - nouveauté - la voix qui hurle sur la ligne de crête entre la rupture et l'essoufflement des paroles raconte des problèmes personnels plutôt que sociétaux. Le groupe est alors décrit comme “emotive hardcore”. La première pierre de l’emo est posée.
From Emocore
En 1989, Jawbreaker sort son premier EP. Là encore, la voix abîmée du chanteur, Blake Schwarzenbach se fend pour t’arracher le cœur lorsqu’il hurle “We're all close to the end/ Don't you need a friend?”. Les paroles littéraires poussent à l’introspection. Si la batterie et les guitares sont toujours agressifs, la structure des chansons se complexifie de changements de tempo multiples et les riffs de guitares se font plus langoureux et mélodiques. Les ingrédients pour les hits pop rock emo de la décennie à venir sont déjà dans le shaker.
D’ailleurs, le temps que le mouvement emo arrive à mes petites oreilles de pré-adolescente et que de mes yeux coulent quelques larmes avec Avril Lavigne sur I’m with you (2002) ou When you’re gone (2007), une partie du genre emo aura très largement pris le virage mélodique et se sera installé confortablement comme musique pop. À la grande heure du pop punk et Paramore (Misery Business, 2007), All-American Rejects (Gives You Hell, 2008) ou encore les Fall Out Boys portent l'étendard emo haut sur les podiums des meilleures ventes.
Du côté du rock plus underground, le punk hardcore emo accouche au début du nouveau millénaire d’un nouveau kid : le scremo, un sous-genre métal franchement dissonant et intense où les chanteur-euses hurlent (encore aujourd’hui) jusqu’à s’en fêler la voix leurs souffrance émotionnelle, la lutte contre les inégalités de genre et pour les droits humains.
Sad gurl, sad boi
Années 2010, les pop sad gurls Lana del Ray (Videos Games, 2012) puis Billie Elish (2017) chantent la tristesse planante. Les adolescent.es commencent à moins pleurer encore leur teenage seum sur du rock que sur du rap. Le genre emo mute et s’adapte.
Tout comme les premiers rockeurs emo, les premiers rappeurs emo s’éloignent du hip-hop classique par son contenu lyrique plus émotionnel et personnel. Les artistes abordent la dépression, la solitude, l'anxiété, la consommation de substances, le nihilisme, le suicide et le chagrin d'amour. Iels samplent parfois des chansons pop punk et emo des années 2000. En 2006, par exemple, le rappeur Kanye West remixe la chanson du groupe pop emo Fall Out Boy " This Ain't a Scene, It's an Arms Race ". Ce dernier, Eminem et Drake sont les premiers à avoir été considérés par les critiques comme des rappeurs “émotionnels” en raison de leur style d’écriture.
Depuis, Eminem a été accusé de violences conjugales. Tout comme Kanye West, qui est également accusé d’agression et d’harcèlement sexuel. L'occasion de rappeler que la rhétorique du sad boy martyrisé en amour par les femmes peut servir d'excuse à la violence misogyne, comme c’est le cas dans la communauté INCEL (involuntary celibate ou célibataire involontaire).
Mais le rap emo ne naîtra réellement que durant la seconde partie des années 2010. En 2014, le rappeur Bones sort son premier album TeenWitch, considéré comme précurseur du rap emo par sa production et son esthétique sombres. Avec ses effets de clavier aigus, ses lignes de basse fortement superposées et ses boucles de batterie de style trap, il s’inspire fortement du sous-genre hip-hop Witch house, et de son esthétique occulte et gothique.
Autre figure de proue bien plus connue du rap emo : Lil Peep, et son esthétique goth Hello Kitty. Aux côtés de XXXtentacion, Mac Miller, Lil Uzi Vert et Juice Wrld, les rappeurs emo imposent très rapidement leur cloud rap comme du rap mainstream. De ces quatres sad boys, seul Lil Uzi Vert est encore de ce monde. Lil Peep meurt d’overdose en 2017. L’année suivante, XXXtentacion est assassiné dans une fusillade, Mac Miller décède d’une surdose de substances et fin 2019, Juice Wrld aussi.
Aujourd’hui, les jeunes artistes Theodora, Luther et Mandy Spie reprennent le flambeau rap emo et mélangent rap, riff de pop rock, inspirations de diverses musiques électroniques de fête et chants doux plugg pour raconter leurs problèmes de santé mentale.
Péter les genres toujours
Les artistes de la nouvelle génération emo mélangent et hybrident sans modération les genres musicaux pour raconter leur spleen. D’ailleurs, "Acédie", le mot du Moyen-Âge pour évoquer le spleen donne son nom du premier EP d’Eloi, définitivement emo, sorti en 2020. L’artiste à l’écriture rythmée et au son hyperpop, electropunk, et rock pousse jusqu’à la dissonance la distorsion sa voix et des riffs pour raconter les “soleils morts sans rayons/colère dans les maisons” (Soleils morts) et l’envie de sensations fortes de la jeunesse.
Elle partage avec une autre étoile montante rock emo, Delilah Bon, une inspiration profonde pour le mouvement féministe punk rrriot gurl, et un gout le mélange des genres. Vocalement, la très politique anglaise alterne entre rap mélodique au timbre déchirant, vibrato de soul queen et hurlements éraillés métal à en dresser tous les poils du corps (essayez Dead men don’t rape si vous voulez un peu de chair de poule). La “brat punk” raconte dans ses textes les traumatismes de son enfance, sa rage envers les violences faites aux femmes et personnes queer. Ultime signe (que je prend pour preuve) de sa filiation emo ? J’ai dû assez vite supprimer War on woman de ma playlist pour arrêter de vouloir pleurer à des instants aussi aléatoires que ma playlist.
Alors que la santé mentale est un sujet qui prend de plus en plus d'importance dans notre société (merci à l’emo ?), nous ne sommes pas prêt·es de cesser d’entendre des voix vibrantes de canaux lacrymaux ouverts nous raconter leurs cœurs en souffrance. D’autant que le monde ne semble pas prêt non plus à cesser avec sa violence absurde. À toustes les emo qui ont choisi d’en pleurer plutôt que d’en rire.