JOJI VS FILTHY FRANK, QUI EST GEORGE KUSUNOKI MILLER ?
Des personnalités historiques du monde de YouTube prennent leur retraite, tandis que d'autres annoncent des pauses ou changent radicalement de voie.
Les créateurs de contenu sur internet semblent traverser une période particulièrement difficile qui les poussent à mettre leur carrière en question, malgré leur succès. Quel chemin emprunter pour s’épanouir à nouveau dans la création ?
Curieusement, le monde de la musique s’impose régulièrement comme une réponse presque évidente. C’est ainsi qu’on trouve de nombreux projets musicaux portés par des influenceurs sur les plateformes d’écoutes… Avec des succès plus ou moins au rendez-vous, leur public peinant à séparer le créateur de contenu de l’artiste musical.
Theodort, Squeezie, Mastu, McFly & Carlito, Gaelle Garcia Diaz ou encore IShowSpeed à l’international, les exemples récents ne manquent clairement pas… Mais si on remonte dans le passé, l'une des personnalités les plus importantes de l’histoire de YouTube est allée au bout de cette transition. Il est aujourd’hui une immense célébrité de la musique pop et vous avez surement déjà entendu, en scrollant sur les réseaux, “Glimpse of Us”, l’une de ses musiques les plus célèbres.
Vous le CONnaissez sous le pseudonyme de Joji… Mais certains d'entre nous l'ONt connu sur YouTube sous celui de Filthy Frank, avAnt qu’IL n’arrête sa carrière de vidéasTE.
Son histoire résonne comme une réponse à cette question : comment détacher l’image de l'influenceur de celle de l’artiste musical ? Plongeons nous donc dans la vie de celui qui est, avant tout, “George Kusunoki Miller”.
George est un jeune homme d’origine australienne et japonaise qui a passé une grande partie de sa jeunesse à Kobe. Puis, à sa majorité, il finit par déménager à New York pour ses études. Durant son adolescence, il participe à des battle de rap qu’il poste furtivement sur YouTube. Il finit même par y diffuser ses propres chansons. Mais c’est en 2008 qu’il ouvre une autre chaîne, DizastaMusic, et débute son aventure internet en y publiant des contenus régulièrement.
C’est sur cette chaîne que naît sa direction artistique, composée de personnages volontairement gênants et borderline qui le suivront tout le long de sa carrière sur le web. George aime crier, déformer son visage et faire tout et n’importe quoi tant que cela provoque une forme de rire par l’absurde. C’est aussi sur cette chaîne qu'apparaît son personnage le plus célèbre, Pink Guy, une sorte d’être humain primitif vêtu d’une tenue en lycra rose qui fait en partie sa marque de fabrique. Avec Pink Guy, vient d’ailleurs son premier grand buzz et pas n’importe lequel, puisque George est le créateur du Harlem Shake. Sa vidéo d’origine a été parodiée de maintes et maintes fois, menant à cette tendance qui a secoué le monde entier en 2013.
Sa chaîne est un véritable succès pour l’époque. Mais pour des raisons de modération sur YouTube, George doit en créer une nouvelle, FilthyFrank, un nom qui devient alors son pseudonyme mais aussi son personnage principal, repoussant les limites de sa propre personnalité. Il amène sur cette chaîne l’univers qu’il avait développé sur DizastaMusic en y mettant les bouchées doubles. Il s’inspire alors de Jackass tout en apportant son humour absurde, très à la mode sur internet. Mais à force de flirter avec ses limites, George malmène sa santé.
Dans une vidéo considérée comme un véritable tournant pour sa carrière, il annonce qu’il doit ralentir s'il ne veut pas altérer sa propre vie. Il se met donc à proposer d’autre type de contenu, dont des vlogs pour se diversifier de manière plus saine et montrer qui il est vraiment. Malheureusement, les réactions de sa communauté sont particulièrement vives. Elle ne veut pas de George. Elle veut FilthyFrank. Alors George flanche, il abandonne ses vlogs et revient de plus belle sur FilthyFrank… Plus trash que jamais.
Ce moment marque un véritable virage dans la carrière de George sur internet. Il fait face à une pression énorme de la part de sa communauté, que ses problèmes de santé importent peu. En incarnant cette forme de liberté adolescente qui fascine son public, George s’est retrouvé prisonnier des attentes de son audience. Il se sent obligé de la satisfaire en sacrifiant ses propres désirs.
Mais entre quelques gâteaux au vomi dégustés avec ses amis MaxMofoe et IDubzz, George n’abandonne pas l’un de ses rêves les plus profonds : la musique. C’est par cette passion qu’il a commencé internet… DizastaMusic reste dans un coin de son esprit. Il voit alors en son personnage de Pink Guy une opportunité pour connecter son goût pour la musique à sa communauté. George propose donc son premier projet musical au grand public : Pink Season, un EP d’une trentaine de morceaux majoritairement rap, teintés de l’univers absurde et trash de la chaîne FilthyFrank. La communauté est au rendez-vous et le projet rencontre un franc-succès, si bien qu’en début d’année 2024, la page officielle de Pink Guy est encore écoutée par 690 000 auditeurs par mois. Certains morceaux performent particulièrement, tel que “She’s So Nice”, qui cumule aujourd’hui plus de 73 millions d’écoutes.
Malgré le succès de Pink Guy, George reste frustré. Pink Guy est un projet amusant, mais qui ne correspond pas réellement à sa sensibilité artistique. Constat similaire pour FilthyFrank qui ne représente plus son idéal créatif, c'est un personnage dans lequel il se sent enfermé et dont il aimerait réussir à se défaire. Alors en parallèle et anonymement sur Soundcloud, George débute un second projet, celui pour lequel vous le connaissez aujourd’hui : Joji. Conscient de devoir faire un choix crucial, il décide d’abandonner YouTube et de se consacrer pleinement à la musique.
Abandonner YouTube, certes, mais pas n’importe comment. George sait ce qu’il doit à sa communauté et souhaite respecter l’univers qu’il a mis en place. Il publie alors en Septembre 2017 sa toute dernière vidéo, “Francis of The Filth”, dans laquelle le personnage de Frank meurt de manière symbolique. Pink Guy, représentant son premier pas vers le monde de la musique, est le seul rescapé de cet univers.
Il est désormais temps pour George de se dédier entièrement à la musique. À ce stade, Joji est toujours anonyme et pose les bases d'une musique pop et mélancolique de grande qualité. Il parvient d’ailleurs à construire une nouvelle audience sur Soundcloud, soutenu dans l’ombre par le label 88rising, une maison de disques qui a pour vocation de développer la carrière d’artistes d'origine asiatique. Elle compte déjà dans ses rangs des talents émergents tels que Rich Brian et Keith Ape. C’est une opportunité idéale pour développer le projet Joji et le présenter au grand public. Quelques clips sont alors publiés sur la chaîne du label, dans lesquels il fait tomber le masque et se met en scène pour la première fois sans chercher à provoquer le rire.
Un morceau en particulier, "Slow Dancing in the Dark", explose et change radicalement le regard que lui porte le grand public. Son clip a accumulé aujourd'hui plus de 498 millions de vues sur Youtube et dépasse désormais le milliard sur Spotify, cinq ans après sa sortie. L'album "Ballads 1", dont est issu "Slow Dancing in the Dark", se classe numéro 1 du classement Billboard R&B aux États-Unis, porté par d’autres titres tel que "Yeah Right" et par des featurings avec des rappeurs populaires à l’instar de Trippie Red.
Sa carrière se poursuit et en 2020, Joji présente son deuxième album, "Nectar" qui est lui aussi un immense succès. On y retrouve une fois de plus des artistes de renom comme Diplo et Lil Yachty. Les chansons "Gimme Love" et “Sanctuary”, dont elles sont tirées, sont toutes deux d’immenses succès portés notamment par la plateforme Tiktok.
Enfin son dernier album en date, “Smithereens” sort en 2022 après deux ans d'absence. Cette fois-ci Joji n’a pas souhaité réaliser de featuring ni même de promotion pour ce projet… Ce qui n’a pas empêché son succès, bien au contraire, puisque “Glimpse of Us” est issu de cet album. Le titre comptabilise aujourd’hui plus d’un milliard d’écoutes sur Spotify.
Aujourd’hui, l’ascension de George est telle que sa nouvelle audience ne réalise parfois pas qu'il a été l'un des pionniers de la culture internet. C’est le résultat d’une transition menée avec douceur et respect envers sa communauté et d’une musique sincère, travaillée avec le plus grand des sérieux. En France, un personnage tel que Mister V a lui aussi réussi à lier sa passion du rap et de la création vidéo sans jamais manquer de légitimité, bien qu’il n’ait jamais pris la décision d’arrêter YouTube. Enfin, ne verrait-on pas en ce moment une transition du même genre avec SEB, dont le contenu évolue aujourd’hui exclusivement autour du monde de la musique, ainsi que la sortie d’un EP Rap en 2021 qui ne sera vraisemblablement pas son unique projet… Affaire à suivre.