Artistes virtuels et IA : quelles perspectives pour la musique du futur ?
Le concept d’artiste virtuel, et plus largement de groupe de musique virtuel, ne date pas d’hier. On peut ainsi remonter à 1958 à la création du groupe Alvin et les Chipmunks composé des trois tamias qui seront ensuite les stars de nombreuses séries animées. Plus récemment, c’est Gorillaz qui peut se targuer d’être le premier groupe virtuel occidental à sa fondation en 1998. Les avancées technologiques exponentielles de ces dernières années posent la question de l’émergence de ces artistes virtuels de plus en plus convaincants et dont toute la proposition artistique pourrait bientôt être entièrement générée par ordinateur.
C’est au Japon dans les années 80 qu’émergent les premières idoles virtuelles issues pour une grande partie d’entre elles d’anime et mangas de l’époque. Depuis 15 ans, Hatsune Miku, artiste virtuelle dont le chant est basé sur une synthèse vocale conçue par Yamaha, a un succès planétaire et a inspiré bon nombre d’autres initiatives depuis. On pense à Polar, l’influenceuse virtuelle conçue par le groupe de média chypriote TheSoul, qui a depuis amassé des millions de vues sur YouTube et TikTok. Les retours sur Polar sont pourtant loin d’être dithyrambiques, avec une grande majorité des commentaires dénonçant la faible ambition artistique d’un tel projet.
Mais avant que les progrès de l’intelligence artificielle puissent subvenir à une proposition artistique complète, de vrais artistes restent derrière ces créations virtuelles. On peut citer K/DA, le groupe de K-pop virtuel créé par Riot Games pour le jeu League of Legends qui a récolté plus d’un milliard de vues sur YouTube.
Révélé lors d’un concert en réalité augmentée donné pendant la cérémonie des World Championship en 2018, le groupe est incarné en coulisses par de véritables figures de la K-pop, coréennes et américaines, qui sont chacune derrière un avatar issu du jeu.
Plus récemment, le groupe sud-coréen Aespa fonctionne sur le même principe : quatre chanteuses humaines et leurs quatre avatars virtuels, pour un projet artistique clairement axé sur le metaverse et le web3. Et il faut croire que ces succès donnent des idées outre-Atlantique : fin 2021,
Au-delà des avatars, l’artiste du futur sera-t-il entièrement virtuel ? Par son apparence, oui, mais aussi par sa proposition artistique. C’était notamment l’objectif avoué derrière le projet décrié FN Meka : un rappeur virtuel conçu par la société Factory New qui est rapidement devenu l’artiste virtuel numéro 1 sur TikTok avec plus d’un milliard de vues, avant d’être signé chez le très célèbre label Capitol Record en août dernier.
HYBE, la société derrière le mastodonte de la K-pop BTS, a acquis la société Supertone qui a pour objectif de créer de toute pièce des voix hyper réalistes grâce à l’IA. Elle s’était fait remarquer en 2021 quand le système a été utilisé pour imiter la voix de l’artiste défunt Kim Kwang-seok dans une émission télévisée locale. L’objectif serait ici d’utiliser la voix des membres de BTS dans des produits dérivés sans pour autant solliciter leur participation. Une pratique qui s’inscrit dans la stratégie plus globale d’Implication indirecte de l’artiste (Indirect Artist Involvement), un des fers de lance de HYBE depuis plus de 5 ans.
Si vous ajoutez à ça des progrès massifs de l’IA dans le domaine de la génération de texte avec le moteur ChatGPT dévoilé le 29 novembre dernier par l’entreprise OpenAI, on peut progressivement esquisser les contours de futurs artistes dont toute la proposition sera issue du "cerveau" d’un modèle génératif d’intelligence artificielle. "Notre capacité à créer du faux a dépassé notre capacité à la détecter" comme dirait le personnage d’Al Pacino dans le prémonitoire film de Andrew Niccol "Simone".
Mais l’artiste en tant que tel est-il pour autant en danger ? Si Lucas Keller, manager de premier plan de l’industrie (Dua Lipa, Asap Rocky, Selena Gomez), prophétise la "mort de l’artiste" au profit de la playlist culture (encore elle) et des hits impersonnels, on peut se demander si le futur est aussi lugubre pour l’industrie. Le succès de groupes comme K/DA pose cependant la question de l’attachement à l’artiste, parfois remplacé par l’attachement à une marque, un univers (le “lore” cher à la K-Pop), un personnage. Certaines maisons de disques et labels voient en l’artiste virtuel une opportunité de créer des stars à la chaîne, basées sur des datas de plus en plus précises et pertinentes. L’artiste virtuel n’est pas limité physiquement ou mentalement, mais ne produit pas des shows aussi convaincants que des artistes comme Dua Lipa ou Taylor Swift (Hatsune Miku faisant figure d’exception notable depuis une dizaine d’années). Les concerts et festivals reviennent à leur niveau de fréquentation pré-pandémie et participent grandement à la construction d’une fanbase fidèle et pour ainsi dire, engagée. Le vinyle et le CD (oui, le CD) reviennent aussi en force depuis quelques années, malgré un marché du streaming toujours plus florissant. La vie réelle a donc de beaux jours devant elle.