"As Slow As Possible", le concert le plus long du monde qui ne se terminera qu'en 2640
Et si vous assistiez au concert le plus lent du monde ? C’est ce que propose le projet « As Slow As Possible » depuis 2001 au sein d’une Église en Allemagne. Jouée de manière autonome sur un orgue construit à cet effet, cette performance singulière intitulée « Organ²/ASLSP » doit prendre fin en… 2640. Autour de ce projet qui défie les lois du temps, on trouve un artiste qui a toujours voulu dépasser les limites de la musique : John Cage.
Composée en 1985 pour l’orgue, As Slow As Possible (diminuée en ASLSP) a été adaptée pour le piano en 1987 avant de devenir un œuvre imposée pour la Compétition du festival de piano international de l’Université de Maryland. Sa particularité : John Cage n’a jamais précisé à quelle lenteur la partition devait être interprétée. De plus, chacune des huit parties, si elles doivent être jouées dans l’ordre, peut être ignorée ou se répéter selon le bon vouloir de l’interprète. Ainsi, John Cage s’est assuré qu’aucune performance de son œuvre ne ressemble à une autre. En 2009, l’œuvre a été jouée sans interruption pendant près de 15 heures par l’organiste Diane Luchese à l’université de Maryland.
Si vous vous rendez dans l’église de Saint-Burchardi à Halberstadt en Allemagne, vous n’entendrez qu’un vrombissement, une tonalité qui dure depuis le 5 février 2022, date du dernier changement d’accord de l’orgue. L’opération est d’ailleurs digne d’une cérémonie religieuse, lors de laquelle une partie des tuyaux doit être remplacée avec le plus grand soin. Si la prochaine évolution de la partition est prévue pour le 5 février 2024, cela n’empêche pas l’église d’accueillir pas moins de 10 000 visiteurs par an. Si la première note a été jouée le 5 février 2003, le concert a débuté 2 ans plus tôt, en 2001, par un silence de deux ans pour respecter la partition de John Cage.
On est ici en phase avec la vision de Cage qui déclarait déjà à l’époque « Cette œuvre ne signifie rien », alors qu’il reprochait à la musique classique de toujours vouloir raconter quelque chose, d’embarquer avec elle un sens profond. Pour l’artiste, la musique, les notes, les tonalités ne sont que des sons qu’on peut apprécier à leur juste valeur, reprenant ainsi la philosophie d’Emmanuel Kant sur le sujet.
Surtout, c’est le fait de ne pas pouvoir l’écouter dans son entièreté qui attire les visiteurs du monde entier, en devenant un objet de fascination. « C’est une cristallisation de l’art contemporain qui met au défi nos sens et notre esprit. Ce challenge est dû en partie au fait que nos sens ne peuvent pas percevoir la structure de l’œuvre dans son entièreté pour apprécier sa beauté. » Une invitation à rester dans l’instant présent dans un monde d’immédiateté. Et si jamais, il sera possible d’acheter un ticket pour la représentation finale en 2640. Vous ne pourrez bien sûr pas y assister, mais les organisateurs vous invitent à le léguer à vos descendants jusqu’à cette ultime date. Et on espère sincèrement qu’elle aura lieu.