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Les dangers de la « temp music », le fléau des compositeurs de musiques de films

Avez-vous remarqué que les musiques de film, en particulier celles des blockbusters, avaient tendance à se ressembler ? On vous parlait récemment du phénomène d’interpolation qui touche la pop music depuis de nombreuses années, alors qu’il s’avère tout aussi courant dans le monde de la musique au cinéma. Mais si les bandes originales ont tendance à s’inspirer entre elles, le coupable est tout trouvé : la musique temporaire, ennemi juré des compositeurs de musiques de film.

La « Temp music » est, comme son nom l’indique, une musique provisoire, souvent issue d’autres bandes originales de films, intégrée pendant les premières étapes de montage à l’initiative du monteur, réalisateur ou producteur. Son objectif : servir d’inspiration pour la tonalité globale du film et sa future musique originale, mais surtout, permettre de montrer une première version de l'œuvre aux cadres des studios ainsi qu’à différentes audiences lors de projections tests désormais courantes pour les films de studio.

Si elle ne traverse pas systématiquement l’histoire du cinéma, l’utilisation de musique temporaire a été l’apanage de certains réalisateurs.

Alors qu’il travaille sur un premier montage pour 2001, l'Odyssée de l'espace, Stanley Kubrick a en tête plusieurs morceaux de musiques classiques, comme le mythique « Ainsi parlait Zarathoustra » de Richard Strauss, qu’il juxtaposera à différentes scènes pour montrer le film aux dirigeants du studio MGM. Même si une bande originale a été entièrement composée par son ancien collaborateur Alex North, Kubrick décidera de se fier à sa première intuition et d’utiliser les œuvres classiques dans le montage final. Depuis, l’arrivée du numérique dans le processus de montage, avec la démocratisation de logiciels comme Avid ou Adobe Premiere Pro au début des années 90, a permis de superposer en quelques secondes seulement des rushs avec n’importe quelle œuvre musicale existante.

Dans ce contexte, en quoi la musique temporaire est-elle un problème ? Comme nous l’évoquions plus haut, celles-ci sont majoritairement issues de musiques de film existantes, si bien que l’inspiration ne dépasse pas souvent le macrocosme cinématographique. Et entre l’inspiration et plagiat, la différence peut être ténue. L’exemple le plus notable en la matière est à coup sûr la musique originale du film 300  de Zack Snyder sorti en 2007, dont un des morceaux composée par Tyler Bates, est une copie quasi conforme d’une autre bande originale, celle du film Titus sorti 6 ans plus tôt, Titus. Cela marquera la première fois qu’un studio comme Warner Bros. s’excusera pour avoir plagié à ce point l’une des inspirations suscitées par une musique temporaire.

La tendance n’ira qu’en s’empirant avec des blockbusters qui ne cesseront de s’emprunter une mélodie par-ci, une rythmique par là pour un résultat qui n’en sera que plus oubliable. « La temp music engendre des compositeurs fainéants », déclarera Mark Korven, collaborateur du réalisateur Robert Eggers sur les films The Witch et The Lighthouse, lors d’une conférence au festival TIFF à Toronto. Le compte Twitter @SoundsLikeTemp, lancé par le vidéaste Tony Zhou, a recensé en 2016 une dizaine d’exemples flagrants du phénomène dans des films comme Transformers, Pirates des Caraïbes ou encore Les Gardiens de la Galaxie.

Mais surtout, la musique temporaire complique considérablement le travail des compositeurs. S’ils arrivent bien souvent sur la dernière ligne droite d’une production, ils auront la lourde tâche de lutter contre le « Temp Love » des réalisateurs, leur attachement grandissant à cette bande originale provisoire. Danny Elfman, collaborateur de longue date de Tom Burton, a été très loquace sur le sujet lors d’une table ronde du média The Hollywood Reporter en 2012 « La musique temporaire est le fléau de mon existence, mon boulot est de faire oublier au réalisateur tout ce qu’il a pu écouter jusqu’à maintenant. S’ils développent une addiction à ce qu’ils ont entendu avant mon arrivée, mon travail est bien plus compliqué ». Même son de cloche chez le compositeur français Alexandre Desplat (The Grand Budapest Hotel) qui, lors d’une masterclass au Festival Lumière à Lyon en 2015, révélait qu’il était souvent en concurrence avec.. lui-même : « De plus en plus (les réalisateurs) utilisent mes musiques issues de films précédents ».

Si certains réalisateurs n’ont pas recours à la musique temporaire, elle reste une plaie pour bon nombre de compositeurs. Si elle est inévitable, la solution serait alors de faire travailler le compositeur en amont de la production, à l’instar de Hans Zimmer qui a commencé à composer sur la musique d’Interstellar avant même le tournage. Ainsi, le processus devient une véritable co-création et non une simple prestation réalisée en bout de chaîne. Si bien que la musique temporaire reste ce qu’elle doit être depuis le début : temporaire.