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DU KENTUCKY AU QUATRE COINS DU MONDE : LA MÉLODIE "JOYEUX ANNIVERSAIRE" N'A PAS FINI DE RÉSONNER.

par Mel Mougas @melmgs

On l’a tous·tes déjà chanté, et pas qu’une fois. Connue dans les quatre coins du globe, la mélodie « Joyeux Anniversaire » est sans doute l’une des plus célèbres au monde. Mais d’où vient-elle et comment a-t-elle voyagé ? Surtout, cent-trente ans après sa création, comment reflète-t-elle toujours les défis actuels de l’industrie musicale ? Retour sur l’une des mélodies les plus rentables de l’Histoire.

MADE IN THE USA

L'histoire de « Happy Birthday to You » commence à la fin du XIXe siècle dans une salle de classe du Kentucky, où les sœurs Mildred et Patty Hill l'introduisent initialement comme un chant matinal pour enfants, intitulé « Good Morning to All ». La mélodie, simple mais entraînante, est publiée dans le livre Song Stories for the Kindergarten en 1893 et connaît rapidement un succès national comme chant d'accueil scolaire avant d'évoluer en chanson d’anniversaire. Seulement dix-huit ans après sa création, en 1911, elle apparaît dans le recueil The Elementary Worker and His Work d’Alice Jacobs et Ermina Chester Lincoln.

Ses paroles originales : « Good morning to you / Good morning to you / Good morning, dear children / Good morning to all » se sont rapidement transformées pour devenir celles que l’on connaît aujourd’hui. Il est probable que les enseignant·es et les élèves aient spontanément adapté la version publiée de « Good Morning to All » pour célébrer les anniversaires en classe, en changeant les paroles en « Happy Birthday to You ». Un  tournant s’opère en 1924 lorsque Robert Coleman ajoute les paroles d'anniversaire en tant que second couplet dans son livre de chants Harvest Hymns.

Harvest Hymns, Robert Coleman, 1924.

La chanson se diffuse largement, non seulement à travers les écoles américaines mais aussi via la radio et la télévision, gagnant en popularité à l'international. Des œuvres telles que la comédie musicale Band Wagon de Vincente Minnelli en 1931 et le dessin animé Bosko’s Party des Looney Tunes en 1932 l'ont intégrée. En 1934, elle réapparaît dans la comédie musicale As Thousands Cheer d’Irving Berlin, permettant à la troisième des sœurs Hill, Jessica, de revendiquer avec succès les droits d’auteur de la chanson pour raison de sa similitude avec l'originale composée par ses sœurs. En 1935, les arrangements spécifiques pour piano de cette version et un second couplet inutilisé ont été protégés par le droit d'auteur par la Summy Company, qui avait alors les droits de publication de « Good Morning to All ». 

PETITE MÉLODIE, GROSSE RÉSONANCE

Une des adaptations les plus célèbres, par Marilyn Monroe, participe largement à la diffusion de la chanson à l’échelle mondiale. Elle est entrée dans l'histoire comme la sérénade d'anniversaire la plus célèbre de tous les temps. Le 19 mai 1962, au Madison Square Garden, dans le centre de New York, Marilyn Monroe monte sur scène pour chanter une petite ballade au président des États-Unis, John F. Kennedy, dix jours avant son 45ème anniversaire. Elle chante « Happy Birthday to You » en remplaçant le nom de JFK par « Mr President ».

La mélodie continue ainsi son tour du monde, se faisant traduire en plusieurs langues. « Lorsque les Américain·e·s supposent que leurs produits culturels sont répandus dans le monde entier, ils se trompent souvent, mais dans le cas de “Happy Birthday to You”, ce n'est pas le cas. La chanson semble être largement chantée dans la plupart des régions du monde, soit en anglais, soit avec des paroles adaptées à l'anniversaire dans la langue locale. Un fil de messages sur les chansons d'anniversaire sur le site Wordreference.com révèle que certains pays ont leurs propres chansons d'anniversaire traditionnelles, mais aussi que des paroles d'anniversaire pour la mélodie “Good Morning to All” ont été écrites et chantées en allemand, arabe, basque, catalan, espagnol, finnois, français, hébreu, indonésien, irlandais, italien, coréen, lituanien, chinois mandarin, néerlandais, norvégien, portugais et tagalog. Il est difficile d'imaginer qu'il existe des statistiques précises qui pourraient prouver ou infirmer l'affirmation faite dans le titre de cet article, mais si un·e lecteur·rice connaît une concurrente sérieuse pour le titre de chanson la plus populaire du monde, j’aimerais bien la connaître. » atteste Robert F. Brauneis, professeur de droit de la propriété intellectuelle à la George Washington University Law School dans Copyright and the World's Most Popular Song (2009).

LE MONUMENT JOYEUX ANNIVERSAIRE - L'OBSERVATOIRE DE L'EUROPE

ENFIN LIBRE

En 1988, Warner/Chappell Music a acquis Birch Tree Group Limited, le successeur de Summy Company, pour 25 millions de dollars, incluant les prétendus droits sur « Happy Birthday to You », générant à l’époque environ 2 millions de dollars par an en droits d’auteur. Cependant, ces droits ont été contestés. Depuis 2010, plusieurs articles et investigations remettent en question la légitimité de ces droits. Un argument de taille apparaît avec la découverte d'un recueil de 1922, The Everyday Song Book, où figure la chanson avec les paroles connues, sans aucune indication de droits d’auteur. Le 13 juin 2015, un procès est intenté contre Warner/Chappell pour libérer la chanson de ces droits d’auteur jugés infondés. En septembre de la même année, le juge George King déclare que Warner/Chappell ne détient pas de droits valides sur la chanson, les droits ne s'appliquant qu'aux arrangements de piano des sœurs Hill. Bien que cette décision marque un point pour la libération de la chanson, celle-ci ne tombe pas directement dans le domaine public, devenant plutôt une « œuvre orpheline » - une œuvre dont les droits de propriété sont si anciens que personne ne sait qui est légalement en droit de percevoir des royalties. Le 28 juin 2016, la chanson finit par être officiellement déclarée dans le domaine public.

BBC News 2015-09-24: Warner-Chappell loses rights to "Happy Birthday"

L'histoire de la chanson « Happy Birthday to You » transcende sa simple mélodie pour devenir un reflet des défis juridiques et économiques auxquels l'industrie musicale doit continuellement s'adapter.

DÉFIS CONTEMPORAINS

La bataille pour les droits d’auteur de « Happy Birthday to You » a mis en lumière la complexité des lois régissant la propriété intellectuelle. Cependant, ce n'est pas un cas isolé et certain·e·s artistes ont réussi avec brio à défier le statu quo. Après la vente non consentie de son catalogue musical à Scooter Braun en 2018 par son ancien label, Big Machine Records, Taylor Swift a fait un doigt d’honneur au fonctionnement de l’industrie musicale en décidant de réenregistrer ses six premiers albums studios. Un projet d'envergure au plaisir de ses fans, de son portefeuille et de sa liberté. La première réédition, Fearless (Taylor's Version) est un succès immédiat, accumulant, dans les premières semaines après sa sortie en 2021, plus de streams que l'opus original. Swift dépoussière son disque, lui donne une nouvelle couverture, un nouveau grain et quelques nouvelles chansons qu'elle gardait jusqu'alors bien au chaud. Depuis, ses albums Red, Speak Now et 1989, ont eu le droit à leur « Taylor's Version ». Ne laissant jamais rien au hasard et fan de théâtralité, Miss Americana a bien sûr gardé son premier et son dernier album (avec son ancien label) pour la fin : Taylor Swift (2006) et Reputation (2017) dont les rééditions devraient sortir cette année.

Late Night with Seth Meyers - Taylor Swift Explains Why She's Re-Recording Her Albums

Dans le même sillage des complexités juridiques de l'industrie musicale, un autre affrontement majeur se profile, cette fois entre Universal Music Group (UMG) et TikTok. Ce litige porte sur la façon dont la musique est utilisée et monétisée sur le réseau social, qui a explosé en popularité ces dernières années, devenant un vecteur incontournable de la découverte musicale pour la génération Z. L'essence de la bataille entre UMG et TikTok tourne autour des droits de licence. Universal Music Group, l'un des géants de l'industrie musicale, accuse TikTok de ne pas compenser équitablement les artistes et les producteur·ices pour l'utilisation de leur musique dans les vidéos créées et partagées sur la plateforme. Selon UMG, TikTok utilise une quantité massive de contenu protégé par le droit d'auteur sans un accord de licence adéquat, ni une rémunération juste pour les détenteur·ices de droits.

Après avoir retiré son catalogue musical du réseau social chinois en fin janvier dernier, suite à la fin du contrat qui liait les deux parties, il se pourrait que Universal revienne bientôt sur TikTok. En effet, il a été annoncé ce jeudi 2 mai que les deux entreprises ont bel et bien trouvé un accord. « Les deux groupes veulent développer “de nouvelles opportunités” afin de davantage monétiser les musiques des artistes du catalogue UMG, par exemple par le biais du commerce en ligne et la vente de billets intégrée à la plateforme (outils qui ne sont pour l’instant pas accessibles en Europe pour l’un et en phase de test pour l’autre) », précise Libération. La question centrale est donc de savoir si TikTok peut continuer à opérer comme un catalyseur de tendances musicales sans renforcer ses politiques de rémunération des créateur·ices de musique. Ce litige pourrait définir de nouveaux standards pour la répartition des revenus générés par les nouvelles plateformes numériques, en écho aux défis relevés par Taylor Swift dans sa reconquête de contrôle sur son œuvre, eux-mêmes un miroir des problématiques auxquelles étaient confrontées les sœurs Hill, plus de cent ans en arrière.

UMG vs TikTok…Sh*t Just Got Real — Rick Beato / YouTube

Mariam Ouardi