DU MAROC AU LEVANT : CES ARTISTES QUI SECOUENT LA RÉGION MENA
En pleine ébullition depuis plus de dix ans, la scène alternative arabophone n’en finit plus de se diversifier et de faire entendre ses voix — du Maroc au Levant.
Une décennie après les révolutions populaires qui ont secoué la région MENA, la scène alternative arabophone est plus agitée que jamais. Façonnée dans l’underground contestataire, la scène prend aujourd’hui son envol au-travers d’une nouvelle génération portée par le travail émancipateur de ses aîné•es, des liens resserrés avec la diaspora (s/o Saint Levant) et l’investissement de majors telles qu’Universal Arabic Music, établie dans la région depuis trois ans.
Libérés du regard paternaliste des industries occidentales et de leurs tiroirs « world music », les musicien•nes arabes se réapproprient la pop, les musiques électroniques et le hip-hop pour en livrer leur propre version : témoignage d’une génération libre, indépendante et impatiente de raconter elle-même son histoire.
Soucieuse de célébrer son héritage culturel mais aussi de le transcender, la scène émergente arabe réussit le pari de s’internationaliser sans travestir son identité, ni mettre ses luttes au placard. Émancipation féminine, défense des minorités sexuelles, mais aussi (surtout) critique de l’impérialisme et des corruptions politiques : l’occasion de contredire quelques préjugés pour dresser le portrait d’une jeunesse créative et avide de révolutions.
Like Fire vous présente sept de ces artistes à suivre absolument !
LELLA FADDA (EGYPTE)
Aperçue sur le dernier album de TRIPLEGO, Lella Fadda a secoué la scène alternative du Caire en janvier dernier avec son premier single clippé, « FOKAK MENI ». Après avoir suscité la curiosité avec une série de singles énigmatiques publiés depuis 2020, elle opère un virage à 360° aux côtés du producteur Abyusif en embrassant l’égo-trip et une drill carabinée qu’on entend déjà retourner les clubs, notamment lors des derniers DJsets de la Parisienne u.r.trax.
En route vers la sortie de son premier album, elle continue d’agiter les radars avec un second extrait dévoilé la semaine dernière : “MSH 3AYZAK”. Avec ce nouveau départ acide et un brin provocateur, Lella Fadda s’impose comme une artiste à suivre dont la proposition artistique renouvelle avec force les paradigmes d’une scène arabe en constante ébullition depuis déjà dix bonnes années.
ABYUSIF (EGYPTE)
Quand il ne produit pas pour Lella ou d’autres artistes de l’alternatif local, Abyusif sait aussi lâcher ses meilleurs bars au micro. Actif depuis la fin des années 2000, le compositeur et vocaliste a tranquillement gravi les échelons de la scène Soundcloud jusqu’à devenir l’un des artistes les plus écoutés du Proche-Orient.
Ce mois-ci, il frappe un grand coup avec « NEMSHY MEN HENA (Leave Here Now) » : un concept-album magistral dans lequel il dit exprimer « pour la première fois [son] identité musicale et [sa] personnalité sans retenue ».
Entre rock alternatif et hip-hop bien vénère, Abyusif propose un son aussi frais qu’instinctif, servi par une production impeccable et des émotions sans filtres. Avec « NEMSHY MEN HENA », il s’affirme comme leader de l’alternatif égyptien et cracke le code de la fusion rap-métal dans laquelle tant se sont emmêlé les pieds. L’occasion de lâcher, fier et amusé : « Je ne suis pas un rappeur et ce n’est pas du rap. Si c’était le cas, ce serait le rap le plus cool du monde arabe. Passé et futur. Et ce n’est pas mon opinion personnelle, mais celle du meilleur rappeur du monde arabe — c’est à dire moi. Mais ce n’est pas du rap. »
BASHAR MURAD (PALESTINE)
Un son électro-pop fédérateur, une voix faite pour les stades et des chansons qui célèbrent identité, révolte et transgression… Bashar Murad pourrait potentiellement être le premier Palestinien à se présenter à l’Eurovision.
En 2019, cet artiste ouvertement queer originaire de Sheikh Jarrah (Jerusalem-Est) s'était pourtant opposé à la tenue du concours à Tel Aviv en participant à la contre-initiative Globalvision, en Cisjordanie à Béthlehem. Cinq ans plus tard, sa potentielle candidature sous les couleurs de l’Islande porte un message fort dans le contexte actuel.
Citant parmi ses inspirations David Bowie et le poète Mahmoud Darwich, Bashar s’est imposé lors des pré-sélections islandaises avec “Wild West” – un funk sur fond de western pour tourner en dérision les mythes du monde occidental, et “les difficultés que rencontrent les Palestinien•nes pour être entendu•es”. Abordant des thèmes liés à la romance queer, à l’exil et à la vie sous occupation, début 2024, il se fait l’écho de la résistance palestinienne avec un nouvel EP sur lequel il reprend le célèbre chant, Mawtini.
ELYANNA (CHILI/PALESTINE)
De Jérusalem au Chili, il n’y a qu’un pas : celui de la diaspora palestinienne présente en nombre dans ce petit pays d’Amérique latine. Née à Nazareth de deux parents palestiniens, Elyanna y a grandi en exil et incarne aujourd’hui la voix de ces enfants à la reconquête de leurs racines.
Visage poupon et longues boucles blondes, elle captivait le monde entier l’été dernier en se produisant lors d’un show spectaculaire sur la scène de Coachella. Avec une voix digne des légendes, elle ressuscitait le mythe des grandes divas arabes en confrontant riffs orientaux, pop maximaliste et sonorités R&B dans une démarche de réappropriation culturelle ambitieuse.
En décembre dernier, elle exprimait sa solidarité aux victimes des bombardements israéliens lors de la cérémonie d’ouverture du festival d’El Gouna en chantant son hymne à la paix, « Olive Branch ». Quelques semaines plus tard, elle annonce le début d’une nouvelle ère avec « Al Sham » : un single clippé époustouflant dans lequel elle rend hommage à Cheikha Rimitti et s’érige en guerrière sacrée du Levant. En pleine tournée américaine à guichet fermés, elle apparaît ce jeudi aux côtés de l’Iranienne Sevdaliza pour sa première collab internationale : le début de la gloire.
EMEL MATHLOUTHI (TUNISIE)
Après avoir fait résonner sa voix au milieu d’une foule de manifestants sur l’avenue Bourguiba à Tunis en 2011, Emel Mathlouthi n’a eu de cesse de repousser les frontières de la musique arabe. Après un premier album pensé comme un pamphlet de révolution libertaire et anti-corruption, elle s’est appliquée pendant dix ans à produire une musique expérimentale dans laquelle les rythmes nord-africains se modulent et se distordent à l’infini pour servir sa soif de justice et de rébellion.
Cette année, elle annonce de nouvelles couleurs pop-électroniques pour son quatrième album. Inspirée par les travaux de Léonard Cohen, de Cheikh Imam, mais aussi de Rosalia ou de Sevdaliza, elle annonce un projet placé sous le sigle de la sororité et de ces émotions qui nous rapprochent les un•es des autres.
SHKOON (SYRIE/ALLEMAGNE)
Dès son arrivée en Allemagne il y a une dizaine d’années, Ameen s’est lié d’amitié avec Thorben – un producteur de musiques électroniques aux côtés duquel il se familiarise à l’exercice du micro et donne rapidement ses premiers concerts. Ensemble, ils forment le duo Shkoon qui rencontre en quelques années un succès phénoménal des raves de Hambourg aux clubs de Beyrouth, jusqu’au Bataclan et aux pyramides de Gizeh.
Après avoir longtemps revisité des titres de la chanson populaire arabe – entre hymnes engagés et poèmes romantiques – ils publiaient en décembre dernier leur troisième album : MASRAHIYA, construit pour la première fois autour de paroles originales qui racontent leur histoire. Celle d’une amitié salvatrice, et d’une musique qui aura su abattre les frontières Est-Ouest pour inspirer un nouveau souffle de liberté.
HANAA OUASSIM (MAROC)
Hanaa Ouasim est née au Maroc où elle a fait ses premiers pas musicaux en jouant des percussions jusqu'à six heures d'affilée lors de mariages. Quand sa famille s’installe à Reims, elle continue de se produire et développe en secret une musique insaisissable qui se découvre aujourd’hui sur son premier EP.
Entre R&B digital, folk berbère et ambient éthéré, La vie de star se compose d’onze titres auto-produits – et composés principalement en dialecte marocain – dans lesquels la jeune femme explore ses souvenirs trans-méditérannéens et invente le post-Y2K nord-africain. Après avoir assuré les premières parties de Yamê, Flavien Berger et Zaho de Sagazan, elle fête sa première release la semaine dernière, au Point Ephémère en compagnie du label Pan European Recordings.
SOURCES
SCENE NOISE
AL JAZEERA
RFI